Présentation

Sabine Cornelis,
Musée royal de l'Afrique centrale,
Tervuren

Bogumil Jewsiewicki,
Émérite Chaire de recherche du Canada
en histoire comparée de la mémoire,
Université Laval, Québec

Le site 'Lubumarts' et la publication Les arts plastiques de l'Afrique contemporaine. 60 ans d'histoire à Lubumbashi (R-D Congo) - Paris, L'Harmattan, 2008 - dirigée par Léon Verbeek sont complémentaires, quasi indissociables. Leur mise en oeuvre révèle les synergies et les enthousiasmes qui ont accompagné le travail de sauvegarde d'un riche patrimoine culturel.

À l'origine de la publication Les arts plastiques de l'Afrique contemporaine. 60 ans d'histoire à Lubumbashi (R-D Congo) - et de la recherche dont elle restitue les principaux résultats - se trouve l'interaction de trois dynamiques initiées par des personnalités très différentes: Gaspard Mwewa Kasongo (UNAZA), dont le projet de doctorat fut ruiné par la disparition prématurée, Léon Verbeek, infatigable investigateur de l'oralité congolaise (Institut de Théologie Saint François de Sales, Lubumbashi) et Bogumil Jewsiewicki (Université Laval, Canada). Un quatrième acteur, le Musée royal de l'Afrique centrale (MRAC), s'est efforcé d'appuyer leur volonté de valoriser un patrimoine culturel et d'en faciliter la visibilité virtuelle.

La recherche conçue et dirigée par Léon Verbeek en République Démocratique du Congo est unique et exemplaire. Elle est unique car elle protège et rend accessible un patrimoine populaire qui risquait de disparaître, tout comme les données qui le concernaient. Unique aussi puisqu'elle fut portée localement par des collaborateurs motivés, qu'ils soient ou non universitaires, qui l'ont nourrie d'un regard interne et intime.
Ce travail de longue haleine est exemplaire car mené avec très peu de moyens et dans des conditions ingrates, il n'en fut pas moins rigoureux par la méticulosité du travail de terrain, par le souci constant de s'assurer que le point de vue de l'acteur soit objectivé par la comparaison et la mise en contexte.
Il prouve qu'une recherche autonome est aujourd'hui possible dans une Afrique sinistrée par la globalisation moyennant une intervention extérieure minime. Cette recherche indépendante exige des efforts héroïques dont cette publication est le miroir.

Un autre point mérite l'attention du lecteur. Léon Verbeek est depuis de nombreuses années connu comme historien et ethnologue du monde villageois au sud de Lubumbashi où il a mené des enquêtes orales d'une rare minutie. Passant du terrain rural à la grande ville industrielle, y amenant certains de ses collaborateurs, il démontre ici la validité de l'enquête orale en milieu urbain et portant sur les activités « modernes ». Lubumbashi, une ville ouvrière, comparable jusqu'aux années 1980 aux cités minières d'Afrique du Sud, offre un milieu fécond pour des recherches reposant sur la tradition orale et des enquêtes sur la mémoire sociale.

La genèse du projet de même que l'analyse des données qu'il a permis de rassembler sont publiées dans l'ouvrage Les arts plastiques de l'Afrique contemporaine. 60 ans d'histoire à Lubumbashi (R-D Congo).

Pour le public lushois et congolais, l'importance de cette publication tient de la richesse de l'information sur la créativité et les créateurs en arts plastiques autant que sur la réception des oeuvres et sur leur circulation. Ses auteurs apportent une preuve incontestable de l'intensité, de la richesse de la vie artistique urbaine. La création n'y est pas simple extension des arts villageois, mais elle ne se pose pas non plus en opposition au village. Les artistes se voient majoritairement comme artisans, se disent travailleurs de l'image, du bois, de la malachite, sans que le goût, les préférences artistiques, le jugement esthétique ne soient absents de leurs oeuvres ni de leurs discours. Ils résonnent aussi dans les commentaires du public, à condition de ne pas s'attendre à des formulations dupliquant le discours occidental. L'autonomie de la production et de la consommation des objets d'arts plastiques constitue probablement l'apport majeur de la publication et de la recherche.

L'ouvrage est aussi la narration d'une recherche collective, son autobiographie. Le lecteur pourrait y déceler un trait postmoderne, mais cette histoire de vie d'une équipe, d'une recherche et de sa mise par écrit est totalement exempte d'autosuffisance. Le récit débute avec le projet d'une thèse de doctorat, jamais réalisée puisque la mort a frappé son auteur, et se déploie par la reprise du projet par une équipe dont les membres font intimement partie de la société étudiée. Cette histoire est indispensable pour comprendre les conditions de production du savoir en Afrique contemporaine. Elle permet de saisir ce qui est spécifique, unique à la recherche qui ne bénéficie pas du luxe, et échappe au piège, de la tour d'ivoire universitaire. L'autobiographie détaillée de l'équipe et du projet permet également d'en saisir les limites, dont la difficulté pour ne pas dire l'impossibilité de la diffusion est la plus importante. Faite dans la société, avec la société jusqu'à un certain point, la recherche se stérilise faute de moyens de diffusion, faute de communication à l'interne et à l'externe.

Ne nous leurrons pas, l'intervention extérieure, telle la collection dans laquelle paraît l'ouvrage chez L'Harmattan, permet d'arracher le travail à l'oubli qui le menace, mais n'en garantit pas totalement la circulation locale. Le livre imprimé dans le Nord demeure trop cher. Il est aussi prisonnier des normes juridiques que la société congolaise ne partage pas nécessairement. À titre d'exemple, il fallut éliminer du volume la collection de récits de vie de peintres puisqu'ils foisonnaient de renseignements privés sur les personnes qu'il aurait été impossible de contacter à nouveau pour obtenir le consentement explicite de publication. Pourtant, la circulation du récit, à la manière d'un témoignage devant un groupe de prière, eût été une seconde vie sociale succédant à la mort biologique de quelques uns.

La publication virtuelle de quelques outils de la recherche par le MRAC apporte une solution précieuse mais partielle. Contrairement à l'opinion répandue dans le Nord, l'espace virtuel est accessible en RDC, à condition de ne pas exiger les logiciels de la dernière génération. On navigue sur le web dans les cafés Internet, aux laboratoires universitaires, dans les bureaux des ONG. Consulter sur le web coûte moins cher qu'acheter un livre. Des membres de la société civile comme les peintres, des écoliers du secondaire, possèdent une adresse courriel. En vue de faciliter l'accès aux données et la visibilité internationale de la recherche, le MRAC a spécialement créé le site 'Lubumarts' à l'occasion du centenaire du musée bâti par l'architecte Charles Girault et du centenaire de la création de la ville de Lubumbashi. Il abrite la banque d'images et la banque de données consacrées à la collection d'art populaire de l'Institut de Théologie Saint François de Sales à Lubumbashi, soit une partie représentative de la collection de plus de 7000 peintures, céramique, objets, que Léon Verbeek a constituée. L'internaute y trouvera également la bibliographie consacrée aux arts en RDC, trop volumineuse pour être publiée dans l'ouvrage, et les peintures analysées dans la publication.

Ni la publication aux Éditions L'Harmattan ni la publication virtuelle du MRAC ne peuvent rendre accessibles les quelques 60.000 pages d'enquêtes et les 4.000 bandes de cassettes enregistrées conservées à l'Institut de Théologie Saint François de Sales à Lubumbashi. Le MRAC se trouvant en Belgique, il est soumis aux règles juridiques générales de protection de la vie privée. Une banque de données sur l'art dans la vie privée n'est pas accessible sur le site et les banques de données ont été expurgées de données trop intimes. Pour pouvoir consulter le matériel original, le lecteur est invité à communiquer avec Léon Verbeek à l'adresse verbeek_leon@yahoo.fr ou lvtheologic@gmail.com

La présente mise en ligne est le fruit d'une collaboration entre le MRAC (département d'Histoire, service Metafro, service des publications), le Père Léon Verbeek, Sylvestre Cabala Kaleba (Lubumbashi) et Bogumil Jewsiewicki.